Sherlock sortit en trombe du taxi qui l'avait ramené jusqu'à Baker Street. Le détective londonien avait passé une bonne partie de la journée entre Scotland Yard et la scène de crime qui avait mis sens dessous un pendant quelques heures les policiers. Comme d'habitude Gary – mais si vous savez, l'inspecteur Lestrade ! - l'avait appelé pour recueillir son expertise. Même s'il ne fallut pas longtemps à Sherlock pour comprendre les motivations du crime, il devait avoué que l'affaire était assez bien ficelée. Mais pas pour son œil averti. De par les blessures sur le torse de la trentenaire blonde ensanglanté, Sherlock en avait déduit que le crime avait été prémédité et soigné. Les plaies ne montraient aucun signe de tremblement. La prise sur le couteau qui avait servi à faire ses entailles avait été assurée. De par les vêtements et surtout aux chaussures plates que la femme, il était évident qu'elle était en visite à Londres pour des vacances. Elle venait du nord. De la Finlande sûrement en vue de la marque et du contenu de son téléphone portable. La proie avait donc été facile pour le tueur. Les touristes, c'est ce qui a de plus naïf. De toute évidence, il ne la connaissait pas. Sur l'arrière du crâne, Sherlock avait aperçu des rougeurs significatives. On lui avait arraché les cheveux. Pas pour se défendre à l'évidence, puisqu'aucune marque de combat ne se trouvait sur la victime. Non, cette mèche de cheveux était un trophée ! Bien, nous avions affaire à un psychopathe qui droguait – n'oublions pas qu'il n'y avait aucune séquelle quant à l'hypothétique défense, la victime était donc endormie ou comateuse - ses cibles avant de les tuer. Après avoir remis tout ce qu'il en savait à Lestrade, il avait fait demi-tour. Il ne faudrait que quelques heures, 2 jours tout au plus pour retrouver le coupable. Les traces de pas avaient laissé assez d'indice sur les lieux qu'il fréquentait quotidiennement. Les motivations du meurtre n'avaient rien de passionnel. C'était juste un tueur amateur qui désirait la gloire et les Unes macabres des journaux. Un tueur en série tuait dans l'œuf du coup.

Lorsqu'il arriva devant le 221B, aussitôt un détail lui sauta aux yeux. Le heurtoir n'était pas penché comme à son habitude. Quelqu'un était passé le voir pendant son absence. À moins que cette personne ne soit toujours là. Au début Sherlock songea à Mycroft, mais ça ne collait pas. Son frère n'oserait pas venir le voir avec tout ce qui c'était passé dernièrement. C'était quelqu'un d'autre.

Aussi discrètement que possible, il ouvrit la porte et monta les escaliers vers son appartement. Lorsqu'il arriva sur le palier, un fin sourire se dessina sur son visage. Son invité surprise lui tournait le dos et il s'amusa à claquer violemment la porte derrière lui pour la faire sursauter.

« Je ne me souviens pas avoir invité quiconque, fit-il avec élégance pour intimider Natasha. Je vais finir par dire à Mrs Hudson de faire payer l'entrée, c'est un vrai moulin ici. Puis il reprit un air bien plus sérieux. Que me voulez-vous ? »

Peut-être bien qu'il aurait pu le deviner tout seul. De toute manière il avait déjà repéré les outils et la tenu de la femme qui signifiait clairement qu'elle n'était pas une cliente et que ses desseins étaient en rapport avec un certain gang de Londres.

Un fin sourire se dessina sur les lèvres de Sherlock lorsque Natasha ouvrit la bouche. Une chose était sûre, ce n'était pas une cliente. Les yeux froids du détective détaillaient l'inconnue des pieds à la tête tandis qu'elle s'avançait vers lui.

« Vous n'avez sans doute pas besoin de mon accord pour vous mettre à l'aise », lui répondit-il, tout en ne se déparant pas de ce sourire indescriptible.

Le plus jeune des Holmes laissa parler la criminelle jusqu'au bout. Il était curieux de l'entendre. Bien sûr, comme le voulait les rumeurs, certains des faits qu'elle lui dit auraient pu être facilement décryptés par son œil d'expert. Natasha semblait fascinait par l'appartement, son regard accrochait chaque élément du décor à sa portée. Le remarquer distilla la fierté de Sherlock. Il savait que son univers était bien souvent fascinant, voire hypnotisant pour les personnes « banales ». Mais Natasha n'avait rien de banal. Il sentait que celle-ci avait une vie bien remplie, et pas que par des criminalités quotidiennes. Sa vue lui offrait un bon mystère à résoudre. Toutefois, il ne se laissa pas à entrer en méditation dans le labyrinthe de son esprit. Après tout, il était tout de même en compagnie d'une « ennemie », bien que sur l'heure, il ne voyait pas quel danger elle pouvait représenter.

Outre le fait qu'il appréciait déjà l'attraction que son univers créait sur Natasha, elle gagnait de bons points dès qu'elle lui apprit la raison de sa venue. Cette fois-ci, un ricanement s'échappa de ses lèvres.

« Hallelujah !, commença-t-il avec une pointe de cynisme dans la voix. Vous n'êtes finalement pas tous aussi idiot chez les Black Moon. Enfin, une personne qui réfléchit. »

Puis il leva les yeux au ciel comme pour accentuer l'aversion qu'il ressentait pour les tentatives d'espionnages ratées qu'il subissait incessamment depuis quelque temps. D'un geste vif, il retira sa fidèle écharpe bleue, ainsi que son long manteau noir. Il jeta le tout sans ménagement sur le canapé contre le mur. Puis il tira sur la veste de son costume d'un geste mécanique.

« J'en ai des tonnes comme celui-là, lui répondit-il quant au manteau. »

D'un pas mesuré, il rejoignit la table où juchaient tout un tas de paperasses, ainsi que son ordinateur portable, ouvert quasiment en permanence. Il posa la main sur le bois et reposa son regard sur Natasha.

« Si vous êtes venu alors que vous saviez que poser des micros seraient totalement inutiles, c'est qu'il y a autre chose qui vous a attiré ici. On relate beaucoup de mon travail dans la presse – et sûrement dans votre gang – vous souhaitiez voir l'envers du décor ? Si tout était bien comme on vous l'avait dit ? Vous n'êtes pas trop déçu, j'espère ? »

À ces mots, il s'essaya sur la chaise à côté de la table et fit un signe à Natasha pour qu'elle prenne place dans l'ancien fauteuil de John.

« Du thé ? » , demanda-t-il sur un air totalement détaché.

S'il n'était pas acariâtre avec elle, c'était qu'il n'en avait aucune raison. Elle n'essayait pas de l'attaquer, ni même lui faire quoique ce soit de nocif – comme poser des micros par exemple. C'était d'ailleurs assez étrange qu'elle se comporte ainsi. Après tout, Killigan lui faisait assez confiance pour lui demander d'infiltrer Baker Street, et elle, elle désobéissait ni plus ni moins à son ordre. De quoi se posait des questions sur la loyauté des adeptes de Black Moon.

Une fois que Natasha prit place dans l'un des fauteuils, Sherlock s'éloigna de la table du salon pour trouver la cuisine. Avec des gestes assurés, il ouvrait les placards pour prendre les outils nécessaires à faire un bon thé. Ces mouvements étaient plus mécaniques que réellement réfléchis. En effet, le plus gros de son attention se portait sur les paroles de Natasha. Il ne la regardait pas, mais au ton de sa voix, il pouvait facilement dessiner l'expression du visage de la terroriste. Et ça ne faisait que l'amuser davantage. Alors qu'il mettait l'eau à bouillir, il ne put s'empêcher de lui répondre.

« Alors l'impatience est un comportement d'idiot, si vous préférez. Personnellement, je n'aime pas qu'on me fasse perdre mon temps. Et c'est clairement ce que fait votre employeur. Qu'il en vienne au fait ! Me tourner autour ne lui apportera rien. Il est temps qu'il s'en rende compte. Retenir Mycroft dans une position délicate ne l'aidera pas beaucoup plus. »

Il laissa l'eau à bouillir et revint dans l'encadrement de l'entrée du salon. Cette fois-ci, il permit à ses yeux déstabilisant de s'accrocher à Natasha. Cette attitude supérieure servait à lui faire comprendre que s'il y avait homme d'exception à Londres, c'était tout simplement lui. Quoi que fasse le gang des Black Moon ou même Moriarty, Sherlock n'allait pas se laisser faire de la sorte. Les menaces sous-jacentes que Natasha avait formulées le plus diplomatiquement possible ne l'effrayait pas. D'ordinaire, de telles situations l'amusent, tant qu'on ne prend pas possession de ses biens et de son propre appartement. Killigan semblait vouloir pousser les frontières du jeu. Bien, Sherlock pouvait répliquer s'il le voulait. Mais ce qu'il voulait, c'était enfin un peu plus d'actions. Si Killigan envoyait tous ses pions un par un poser des appareils d'espionnage chez lui, ça allait vite l'ennuyer. Si ça ne l'était pas déjà...

« Un contexte moins plaisant ? Votre chef compte-t-il enfin passer à la vitesse supérieure ?, demanda Sherlock avec une pointe de moquerie dans la voix. »

Toutefois, le fait que Natasha semblait « attristée » de devoir se retrouver contre Sherlock ne lui passa pas au-dessus. Il appréciait toujours les flatteries, même si souvent elles coulaient sur lui plus qu'elles ne s'y agrippaient. Mais venant d'une potentielle ennemie, se voir reconnaître son génie, c'était valorisant. Il lui semblait bien que cette femme était spéciale. Elle ne vomissait pas cette fan habitude qu'il avait eu l'habitude de côtoyer de plus en plus malgré lui. Elle était tout en retenu, en observation. Allez savoir pourquoi, mais Sherlock ne voyait pas en elle une criminelle comme il l'avait vu chez Killigan. Elle avait ses armes et était dangereuse, mais il y avait autre chose.
Le détective cessa de contempler la Russe pour partir récupérer le thé qu'il déposa élégamment devant Natasha. Il se prit lui-même une tasse qu'il déposa sur la table, pour la laisser un peu refroidir.

« Les affaires seraient plus simples si vos amis cessaient de mettre la pagaille à Londres, résuma Sherlock. Les enquêtes du quotidien ne vous intéresseraient pas... Une chose me turlupine : pourquoi suivre Harry Killigan. Quelles sont vos motivations. Ne me dîtes pas que vous faîtes ça juste pour le plaisir, vous semblez plus maligne... Qu'est-ce qu'il vous offre en retour ? »